L’autre jour, j’ai été jusqu’à Saint Jean du Bruel, où habite ma grand-mère. Je vais y passer une journée chaque mois. Nous adorons nous retrouver, toutes les deux. Elle me raconte les dernières nouvelles du village et comme j’y ai passé toutes mes vacances depuis mon enfance, je suis toujours enchantée de savoir ce que deviennent les uns et les autres. Mais une histoire comme celle qu’elle m’a rapportée, ça non, je ne m’y attendais vraiment pas. D’ailleurs, personne ne l’imaginait.
Pour commencer par le début, il faut que je vous parle de Pierre et Jean Ginestoux, les deux frères. Ils vivent ensemble à la ferme dont ils ont hérité de leur père. Je les ai toujours entendus citer en exemple, un modèle d’amitié fraternelle : « Regarde, Pierre et Jean, ils ne se disputent jamais ; tu as vu, Pierre et Jean, jamais un mot plus haut que l’autre ; Pierre et Jean, quel plaisir de les voir, jamais de discussion, toujours d’accord ». Même pour l’héritage, ils n’avaient pas échangé un mot plus haut que l’autre, on n’avait jamais vu ça de mémoire de notaire.
Ca aurait pu continuer longtemps comme ça, mais là, il y a quelques jours, la vérité à éclaté : Pierre et Jean Ginestoux se haïssent, s’étripent dès qu’ils sont seuls, ils ne font que jouer la comédie.
C’est grâce à Aristide et Casimir que ça s’est su. Bon, d’accord, ces deux là ne valent pas grand-chose. Aristide peint, d’après des cartes postales, d’affreux petits tableaux de la région qu’il vend aux touristes et Wladimir fait grincer son violon une fois par mois dans les villages alentours. Je crois bien que, depuis le temps que je les connais, je ne les ai jamais vus faire autre chose. Ils sont toujours à trainer au café, à se faire payer à boire sans jamais rendre la tournée, à s’arranger pour être invites à manger ici ou là, à profiter des autres à chaque occasion. D’ailleurs, à ce régime là, ils prennent davantage de poids chaque année. Et allez savoir comment ils se débrouillent, on n’arrive jamais à les éviter.
C’est comme ça qu’un jour où il y avait la foire au Caylar, ils se sont accrochés à Pierre et Jean Ginestoux. Comme ils n’avaient pas de voiture pour rentrer à St Jean, les Ginestoux leur ont proposé de les ramener. Aristide et Casimir ont été avec eux jusqu’à la ferme, ils se sont invités à déjeuner. Ils ont été faire un tour histoire de prendre l’air, sont revenus avec une bouteille pour le dîner et comme il s’était mis à pleuvoir à seaux, ils sont restés coucher. Bien évidemment, ils ont pris le petit déjeuner, sont restés traîner, Aristide a sorti ses pinceaux, Casimir son violon et la deuxième journée est passée sans qu’ils s’en rendent compte.
Ca a duré huit jours comme ça. Les frères Ginestoux ont commencé à en avoir assez, et c’est bien normal. Mais les deux autres n’avaient pas l’air de s’en rendre compte, ils avaient même l’air de vouloir s’incruster davantage. Les deux frères se sont énervés. Vous savez comment c’est, quand on s’énerve, on dit des choses qu’on ne dit pas de sang froid.
Aristide et Casimir revenaient de promenade, juste pour l’heure du déjeuner. Ils ont trouvé les deux frères en pleine dispute, une dispute tellement violente qu’ils ne se sont pas arrêtés à l’arrivée de leurs hôtes. Ils passaient des accusations aux reproches sans prendre le temps de respirer. A la fin, Pierre a crié :
J’en ai assez de toi, pauvre couillon. Puisque c’est ça, j’exige le partage, immédiatement !
Tu veux le partage ? Il n’y a pas de problème, je ne demande que ça, saligaud !
Et ils ont tout partagé, tout ! La maison, les meubles, les terres, les bêtes. Ils ont tracé un trait à la craie pour séparer la maison en deux en attendant de monter une cloison. Et comme la table se trouvait au milieu, ils l’ont partagée aussi. Même leurs invités, ils les ont partagés. Pierre a pris Aristide par le bras et l’a installé de son côté de la table, Jean a fait la même chose avec Casimir
Tiens, Aristide, prends donc du saucisson, a dit Pierre
Quoi, mais tu plaisantes, le saucisson est de mon côté, a hurlé Jean.
Et d’un coup sec du manche de son couteau, il a frappé la main d’Aristide.
Quoi, tu frappes mon invité ? a crié Pierre. Tu vas voir ce que je vais faire au tien !
Et hop, un coup de cuiller à ragout sur la tête de Casimir.
Ca ne va pas se passer comme ça, ton invité, je vais le réduire en purée !
Et moi, je vais faire du hachis avec le tien. Attends un peu que j’aille chercher ma hache !
Aristide et Casimir ont bien essayé de les arrêter, mais plus ils s’interposaient, plus le ton montait. Jusqu’au moment où Pierre est sorti chercher son fusil de chasse pendant que Jean faisait des moulinets avec sa hache. Les invités ont disparu en bredouillant « On est de trop, on vous laisse ». Et ils sont partis en courant, eux qui n’avaient pas couru depuis des années.
Arrivés au village, la première chose qu’ils ont faite, ça a été de s’arrêter au café, histoire de boire un petit remontant. C’était l’heure du déjeuner, il y avait du monde aux tables. Quand ceux qui étaient là ont vu leur état, ils se sont inquiétés, ils les ont interrogés et bientôt, tout le village était au courant.
Pour connaître la fin de l'histoire,
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Béatrice Samson
06 80 50 18 45